Storytelling et Rhétorique


STORYTELLING

Comment convaincre en élaborant un récit en lien avec son activité professionnelle, sa prestation, son idée, son produit ? Le Storytelling est une nouvelle méthode de conviction en vogue dans les pays anglo-saxons qui arrive en Europe. 

Le défi de bien communiquer

La perte de repères dans notre société actuelle ainsi que les nouvelles technologies de l’information provoquent sur notre communication des effets inquiétants. En effet, comme nous subissons des surcharges d’information et que la qualité de cette information n’est pas forcément toujours de premier ordre, nous sommes victimes d’«infobésité[1]». Ainsi, pour l’émetteur, se faire entendre dans ce bruit permanent, relève désormais du parcours du combattant. Et pour le récepteur, qui risque de capter qu’un brouhaha superficiel vidé de signification, il peut être malaisé de capter le sens, et le piège du repli sur soi existe. 

En fait, on a jamais eu autant de moyens de communication qu’à l’heure actuelle, mais on a jamais eu autant de difficulté à faire passer un message. Dans ce contexte, comment l’émetteur peut-il faire la différence, capter l’attention, et convaincre ? Pour répondre à ces questions, des spécialistes anglo-saxons en communication ont développé une nouvelle approche : le Storytelling. Cette méthode permet de convaincre en élaborant un récit en lien avec son activité professionnelle, sa prestation, son idée, son produit. Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, prenons un exemple.

L’anecdote de l’écurie de course

Jacques[2] D. est un récent gestionnaire de fortune d’une banque privée de la place qui rencontre une difficulté dans son travail qu’il décrit avec une certaine appréhension comme suit : «Je n’ai pas de souci pour entrer en contact avec mes clients, mais ils se bloquent systématiquement au moment où je leur propose de rapatrier tous leurs avoirs dans un seul et unique établissement. Ils préfèrent jouer la sécurité et ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier».

Un jour, il rencontre Paul[3] F. brillant gestionnaire de fortune de renommée internationale. Rapidement ils sympathisent, et l’expert confie au novice un des secrets de sa réussite : «C’est simple, pour augmenter la masse sous gestion d’un client, je raconte chaque fois la même histoire. J’explique qu’une banque c’est comme une écurie de chevaux de course. Ils sont tous réunis ensemble à proximité d’un champ de course avec d’excellents entraîneurs, ce qui créé une forte émulation. De plus, il y a toujours quelques boxes de libre pour de nouveaux arrivants à fort potentiel».

Quelques mois plus tard, Paul F. croise Jacques D. dans un cocktail. L’inquiétude de ce dernier a laissé la place à un large sourire. «J’ai raconté ton histoire à une de mes clientes, femme d’un richissime armateur grec. Et deux semaines plus tard, elle a rapatrié la majorité de ses avoirs dans notre banque, soit près de 180 millions de francs suisses. Merci.»

Le Storytelling

On peut donc définir le Storytelling comme étant la capacité à raconter une histoire. Une histoire belle et adaptée qui convainc et provoque l’adhésion. Une histoire en lien avec son activité professionnelle, sa prestation, son idée, son produit. Mais aussi une histoire en lien avec la réalité de celui qui va l’écouter. Racontée par l’émetteur avec force et conviction, cette histoire va permettre au récepteur d’évoluer dans sa représentation de la réalité, ses croyances et ses opinions. 

Selon le gourou américain Steve Denning[4], le monde de l’entreprise est un espace favorable pour cette nouvelle approche. «Le Storytelling, c’est ce qui fait la différence entre un leader et un manager. Le leader a une vision enthousiasmante qu’il est capable de raconter et de communiquer. Alors que le manager, lui, ne fait que gérer le quotidien».

Mais le Storytelling ne s’applique pas qu’au seul management, il concerne aussi la conduite du changement, la relation client et la vente. Car autant les marques célèbres rivalisent de virtuosité pour raconter leur histoire aux consommateurs, autant les collaborateurs et cadres de ces mêmes entreprises sont parfois démunis pour raconter à leur tour une histoire. Ainsi le Storytelling permet aussi dans une entreprise d’assurer un lien de communication entre l’institutionnel et l’opérationnel. En s’inspirant du récit de la marque ou de l’entreprise, il va s’agir de développer une histoire plus spécifique et personnelle.

 En conclusion, le Storytelling s’affirme comme un puissant outil de communication applicable au monde de l’entreprise, et qui permet à l’émetteur de se différencier et d’obtenir des résultats concrets.

[1] Terme inventé au Canada et reconnu par l'office de la langue française depuis 1995. [2] Prénom fictif. [3] Prénom fictif. [4] The Leader's Guide to Storytelling, Stephen Denning, 2005.

RHETORIQUE

Révélée par Aristote, cette pratique de persuasion permet de débattre avec style et élégance. Grâce à la parole, il est possible de faire évoluer l’opinion. Voilà plus de 2000 ans que les bases de la rhétorique ont été mises en lumière. Les Grecs que les Romains la pratiquaient et l’enseignaient dans des domaines tels que les procès et la politique.

La Grèce antique, berceau de l’art oratoire

La rhétorique naît vers 465 avant J.-C. Une légende raconte que Hiéron, le tyran de Syracuse, aurait interdit à ses sujets l’usage de la parole. Pour les défendre, Corax, disciple du philosophe Empédocle, publie un « art oratoire », véritable recueil de préceptes pratiques à l’usage des justiciables désirant récupérer les terres qui leur avaient été subtilisées. Depuis ce moment, on prend conscience que le langage sert non seulement à communiquer dans la vie courante mais aussi à convaincre les autres de son bon droit, surtout si on apprend à l'utiliser suivant certaines règles. L'invention est donc grecque, et rapidement différents courants et auteurs tels que les Sophistes, Démosthène, et Aristote la développent.

Origines

Et c’est en 456 avant J.-C. que dans « Gorgias », Platon décrit toute la puissance de la rhétorique. Chez les Romains, la fameuse « éloquence latine » atteint son apogée avec Cicéron et Quintilien, dont les discours et les traités ont longtemps été considérés comme les grands modèles de rhétorique dans l'enseignement. A Rome, les orateurs étaient la plupart du temps des avocats, une brillante profession qui permettait de gravir les échelons de la carrière des honneurs grâce au pouvoir de l'éloquence. A l'époque de Tacite, quand les jeunes gens quittaient le « grammaticus », ils passaient chez le « rhéteur ». Avec leur professeur, ils exerçaient l'éloquence avec la narration, la discussion, et le débat. Enfin à Pompéi, les orateurs avaient l'occasion de démontrer leurs capacités dans le « seggestum », une tribune ou les orateurs pouvaient s'adresser au peuple.

Les figures de style

Face aux obstacles, l’orateur se doit d’être persuasif, éloquent et capable de donner du sens. Comme disait Leibniz, il va s’agir «de provoquer ou d'accroître l'adhésion des esprits aux thèses qu'on présente à leur assentiment». Dans ce but, l’orateur conjugue ses talents d'écrivain et d'acteur, afin de captiver son auditoire. Porté par un état de grâce, galvanisé par le milieu hostile, l’orateur maîtrise les figures de style, et réussit à convaincre par le verbe avec panache et émotion. Cadrage, recadrage, réfutations, l’opinion réussit à se greffer dans un milieu à priori hostile, et en final à remporter l’adhésion. La technique oratoire devient art, et se transforme en rhétorique. « Communiquer n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu » a dit Aristote.